Sans avoir caressé son rêve - Bertrand Raymond

Je connaissais Edgar Théorêt depuis 45 ans. Quand j'ai fait mes premières armes au Journal de Montréal, on le voyait fréquemment faire ses entrées dans notre salle de rédaction, poli et toujours souriant.

À titre d'entraîneur de natation, de directeur technique et plus tard de directeur général de la Fédération de natation du Québec, il était l'homme à tout faire de cet organisme. Dévoué, ses présentations rédactionnelles étaient appliquées.

Notre patron Jacques Beauchamp, qui lui reconnaissait de belles qualités, trouvait toujours le temps et l'espace pour loger ses communiqués dans nos pages. On méritait habituellement le respect de monsieur Beauchamp en démontrant une attitude irréprochable au travail et une ponctualité rigoureuse au niveau du quotidien. Notre patron détestait courir après un communiqué de presse. Ça tombait bien puisque Théorêt frappait lui-même aux portes pour qu'on accepte de faire connaître les activités de la natation québécoise.

Curieusement, plus de trois décennies plus tard, ses mérites ont été reconnus quand on lui a remis le « Maurice-hommage Jacques Beauchamp » dans le cadre d'un gala Sport-Québec.

Les gens connaissaient surtout Edgar Théorêt, qui vient de succomber à un cancer, comme celui qui s'est battu presque seul pendant plus de 20 ans pour implanter solidement le Panthéon des sports du Québec. Il en a beaucoup arraché pour faire lever de terre ce projet qui n'était pas glamour aux yeux de certains, mais primordial aux siens. Il s'est battu âprement pour chaque subvention qu'on lui a accordée. Comme il obtenait souvent des miettes, compte tenu de ses besoins, il organisait annuellement des tournois de golf et des galas d'intronisation visant à assurer la survie financière du panthéon.

Une fois, le Panthéon des sports du Québec bien établi, et après plus d'une centaine d'athlètes et de dirigeants intronisés, il s'est attaqué à un projet plus important encore, soit la construction d'un musée pouvant permettre de placer à l'avant-plan tous les trophées, artefacts et pièces de collection qui s'empilaient dans le sous-sol de sa résidence, faute d'endroits mieux appropriés pour les sauvegarder. Encore aujourd'hui, tous ces souvenirs précieux sont conservés dans des boîtes dans une salle obscure du Stade olympique.

Le projet du musée fait actuellement son chemin. Le jour n'est pas très loin où on confirmera le site qu'on aura retenu pour ce projet. Si tout va bien, il devrait voir le jour en 2017, à l'occasion des fêtes du 375e anniversaire de Montréal. Mais, pour lui avoir parlé dans les derniers moments de sa vie, je sais que le fait de partir sans obtenir la confirmation que son grand rêve deviendra réalité l'a attristé.

« Ce fut définitivement une déception pour lui, confirme son fils André. Il a vu d'autres provinces posséder leur musée des sports. Il est allé en visiter et il a fait ses recherches. De ne pas pouvoir y arriver de son vivant lui a fait quelque chose, c'est certain. »

André a vécu une grande relation père-fils avec lui. Il lui a souvent porté assistance au niveau de la logistique à l'occasion des tournois de golf et des galas du panthéon. Le disparu, pour qui la famille venait au premier plan, entretenait la même relation avec sa fille Nathalie, tandis que sa femme Mariette a été une précieuse complice dans tous ses projets.

Il était le père de deux enfants, de six petits-enfants et d'un arrière petit-enfant, William, âgé de quatre mois, qui a rempli amoureusement les derniers instants de sa vie. Quand les médecins lui ont appris en novembre dernier qu'il n'en avait plus pour très longtemps, il ne leur a formulé qu'une demande. Il tenait absolument à vivre le premier Noël du dernier membre du clan Théorêt. Ils ont promis de tout faire pour que cela se produise et ils y sont parvenus grâce à une médication appropriée.

Dans une résidence pour soins palliatifs, il fallait le voir bercer le petit William, il y a quelques jours à peine, pour comprendre qu'il serait bien resté encore un peu.

Tenace et convaincant

On conservera de lui le souvenir d'un homme particulièrement convaincant. Il avait une façon de demander qui lui permettait souvent d'obtenir un oui comme réponse. Il le faisait d'une voix douce, l'air de dire: « Je sais que tu n'as pas beaucoup de temps à me consacrer, mais tu me rendrais un très grand service si… » Tout cela dit avec un sourire charmeur au coin des lèvres. C'était dans le sac.

« Quand il allait voir Maurice Richard pour le convaincre d'assister à une de ses activités, il savait à quel point sa présence apporterait de la notoriété au panthéon, précise son fils. Très en demande, le Rocket se faisait tirer l'oreille, mais il finissait pas dire oui. Papa était assez bon pour convaincre le monde. Arriver à mettre les gens de son bord et à les embarquer dans ses projets était un atout qu'il maîtrisait bien. »

On aurait dit un homme sans âge tellement il a peu changé durant toutes ses années d'implication dans le sport amateur québécois. Il était enjoué et rieur. Il avait toujours une nouvelle blague à raconter. Il avait su garder la forme, comme l'indique les 108 trous de golf  en 11 heures qu'il avait joués à 68 ans dans le cadre d'une activité organisée pour la sclérose en plaques. Il y a deux ans, il marchait encore au rythme de six kilomètres à l'heure. Il avait besoin de cela pour mieux gérer ses énergies et son stress.

Peu de gens qui ont suivi sa belle carrière savent qu'il grattait la guitare. Il lui arrivait même de composer des chansons. Il en a composé une toute dernière pour son arrière-petit-fils en novembre dernier.

« Je ne me sentais pas bien, m'a-t-il raconté. J'avais mal au ventre, j'étais faible, mais j'ai réussi à le faire. Je ne suis pas un guitariste; je suis plutôt un gratteux de guitare. »

Il n'était pas peu fier qu'une vieille connaissance se soit servi de ses contacts pour lui permettre d'enregistrer son propre CD juste avant de partir. Toutes des ritournelles dédiées à ses petits-enfants. Une sorte de testament familial à ses yeux.

À Mariette, son épouse aimante et dévouée, à ses deux enfants, Nathalie et André, et à tous les membres de cette belle famille, j'offre l'expression de mes plus vives sympathies.
 
Bertrand Raymond
Membre du conseil d'administration du Panthéon des sports du Québec
Tiré du site de RDS